Alain de Broca est neuropédiatre au CHU d'Amiens, docteur en philosophie et directeur de l'espace de réflexion éthique régional Hauts de France. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont Le Développement de l’enfant. Aspects neuro-psycho-sensoriels.
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1. Interaction, relation, échange, bienveillance sont les leitmotivs de votre livre, toutes attitudes qui favorisent l’épanouissement de l’enfant ?
Qui n’a pas craqué en regardant les grands yeux d’un nourrisson qui vous « boit » du regard ! Qui n’a pas eu envie de faire des bisous dans le cou d’un poupon qui se love dans votre cou ? Qui n’a pas compris que l’enfant nous testait en fronçant des yeux, rien que pour être sûr que vous êtes en relation avec lui ? Qui n’a pas eu envie de s’asseoir pour lire un livre, autant pour être l’un à côté de l’autre, que pour lui apprendre ce qu’est un éléphant ou un dinosaure ? Comment ne pas comprendre que l’humain est un être de relation dès qu’il est conçu et qu’il a besoin de partager ce qu’il est, ce qu’il fait, ses désirs, ses passions et sa joie ou ses peines. D’ailleurs, le parent vit tout autant la même chose en interaction, en réciprocité avec l’enfant. Qu’il est bon de partager tout cela. L’un et l’autre s’aide mutuellement à grandir et se développer.
2. Et pourtant vous vous fondez sur les neurosciences. Qu’est-ce que ces nouvelles connaissances apportent sur le sujet de l’éveil de l’enfant ?
Les scientifiques du cerveau nous aident à mieux comprendre comment fonctionnent les différentes aires (parties) du cerveau. Comment elles sont en lien les unes avec les autres. Comment elles sont activées pour telle ou telle fonction. C’est passionnant et aide peu à peu à guider des rééducations quand une personne est malade. Mais ces mêmes scientifiques ne peuvent pas et ne pourront pas expliquer ce qu’est la joie, l’amour partagé entre deux êtres. Ce n’est pas inscrit dans les réseaux neuronaux. Il ne faut pas opposer science et développement de l’enfant. Il ne faut donc pas tout vouloir comprendre du développement d’un enfant à partir de la manière dont est construit le cerveau. Que chaque parent se redise que l’attention et l’amour prodigués font au moins aussi bien que l’inné.
3. Les neurosciences s’infiltrent dans les cerveaux de nos tout-petits pour comprendre leur développement moteur, sensoriel, intellectuel, affectif... Pourtant ne dit-on pas que chaque enfant est unique ?
Oui, chaque être vivant est unique, et donc chaque personne l'est aussi. Même deux vrais jumeaux, donc génétiquement identiques, vont être très rapidement différents, car l’expression des gènes (la génétique) que chacun porte (les mêmes donc) va dépendre de la manière dont son environnement, (les bruits, les caresses, la manière dont il vivra ou non les frustrations tout autant que la manière dont ses germes digestifs se répartiront dans son corps) amènera à l’utilisation ou non de ces gènes ! L'être vivant n’est pas une machine, mais bien un être complexe, riche de toutes ses qualités et ses défaillances.
4. Votre livre évoque l’importance du lien qui se tisse in utero entre la mère et l’enfant…
OUI, évidemment puisqu’in utero, il y a déjà tant d’interactions avec les mouvements de la mère, les bruits qu’elle fait (son cœur, sa respiration, son tube digestif) et les musiques qu’elle entend, les saveurs de sa cuisine, etc.. Donc tout concourt à construire et à préparer les fondations psychiques et somatiques de ce petit bout.
5. …ainsi que « la toute-puissance du nouveau-né ». Que signifie ce terme ?
La toute-puissance a deux sens opposés ! Le premier est celui qui exprime que dès sa conception, l’être vivant dans l’utérus est en puissance... Un enfant puis un adulte en entier... de deux demies cellules (le spermatozoïde et l’ovocyte) on devient un grand être. Il est en puissance ce grand être dans cette cellule conçue. Il faut qu’il se développe et au fil de sa vie, l’être devra trouver toutes ses qualités enfouies (génétiquement) pour les exprimer au mieux au profit de lui-même bien sûr, mais aussi de ceux qu’il rencontre. Il serait dommage qu’une personne qui a des talents de musiciens ne puisse pas avoir les moyens de les montrer !
Mais le mot toute puissance en psychologie infantile souligne que l’enfant, souvent par angoisse de ne pas se sentir exister, essaye d’asservir tout le monde autour de lui à son propre profit. Il aimerait tant claquer des doigts pour que maman, papa, mami, papi fasse ce qu’il veut, quand il veut, comme il veut. Cette toute puissance infantile dite archaïque doit disparaître, car sinon l’enfant ne peut pas prendre sa place réelle dans le monde familial et social.
6. Vous mentionnez fréquemment les notions de maturation et de plasticité. Qu’indiquent-elles à propos du développement de l’enfant ? Celui-ci est-il linéaire et continu ? A-t-il un début ? Une fin ?
Le développement est, on le sait en se regardant, un drôle de mouvement. Beaucoup d’acquisitions au fil des semaines, mois, années et en même temps des pertes (motrices, sensorielles, relationnelles). C’est cela le développement : accepter de gagner des nouvelles dispositions tout en en perdant d’autres. Et finalement, si le développement de l’enfant de 0 à 7 ans est important, chaque personne se développera jusqu’à son dernier souffle.
Alors oui, les paliers semblent évidents. Il faut préparer pendant des mois la motricité du dos, des cuisses, des mollets, travailler l’équilibre pour marcher... et hop ! Un jour on se lance. Mais chaque moment de passage est longuement préparé avant.
7. Votre ouvrage parle de l’enfant depuis sa conception jusqu’à l’âge de 7 ans. Quel portrait pourriez-vous faire, à cet âge dit « de raison », d’un enfant épanoui ?
Evidemment, il faudra qu’il continue à construire la pensée et la raison...et ce jusqu’à 90 ans. Mais on le voit, l’enfant passe d’une manière de penser intuitive (dite inductive, créative divergente) avant 6-7 ans, à une pensée rationnelle (dite hypothético-déductive, convergente, hiérarchisée). L’être n’est pas « meilleur » après 7 ans mais sûrement plus prêt à affronter le monde et les enjeux de la socialisation, avec tout le monde.
8. En quoi consiste le métier de parent, finalement ? Comment peuvent-ils accompagner au mieux l’évolution de leur enfant ?
Métier ? Vous avez dit métier ! Ne serait-ce pas plutôt une somme de qualité au-delà de l’amour déversé qu’il faut dispenser : disponibilité, adaptabilité, humour, tendresse, douceur et fermeté !
Il est vrai que certaines connaissances sont nécessaires pour aider un enfant à s’éveiller, à se connaitre, à comprendre le monde autour de lui (et c’est l’objet du livre) mais si le parent déploie ces qualités, je ne suis pas inquiet de la manière dont les deux vont pouvoir grandir ensemble et s’apprendre mutuellement la beauté de la vie.
9. Vous êtes neuropédiatre, père et grand-père des nombreux enfants qui ont illustré votre ouvrage. Y a-t-il des enseignements communs tirés de votre profession, de votre expérience de père et de votre rôle de grand-père quant au développement de l’enfant ?
La plus belle chose que je vis, jour après jour, c’est la joie de voir les enfants s’éveiller à la connaissance, s’éveiller à la fraternité en se chipotant entre frères et sœurs et entre cousins. C’est les voir comprendre ce qu’on appelle la liberté par le devoir de ne pas marcher sur les pieds d’autrui et respecter son calme, son jeu, tout en apprenant ; c’est les voir vivre l’égalité qui n’est pas d’avoir la même chose qu’autrui mais avoir en proportion de ses besoins...