Quand être parent devient source de pression
"Vu de l'extérieur, j'avais une vie parfaite. Ma fille de 2 ans était en pleine forme, mon mari était hyper-investi dans son rôle de papa, nous avions une situation confortable... Mais de mon point de vue, ma famille était devenue un enfer: j'avais progressivement renoncé à tout ce qui me tenait à cœur pour mon enfant. J'avais démissionné de mon travail que j'adorais, je m'étais éloignée de mes ami(e)s et je n'étais plus que 'la mère de Léa'. Cela a marché un temps. Puis, j'ai commencé à être odieuse avec la petite. Je me suis rendu compte que cela n'allait vraiment pas le jour où je me suis imaginé la frappant."
Alexandra a craqué, victime d'un burn-out.
Longtemps cloisonné au milieu professionnel, le burn-out a trouvé son chemin, il y a maintenant quelques années, dans les foyers. Derrière cet épuisement physique, émotionnel et mental dû à une exposition chronique au stress, un phénomène sociétal bien connu : la pression de la parentalité parfaite. "Burn-out professionnel et burn-out parental impliquent tous deux une forme de pression. On en demande toujours plus, avec moins de moyens, on évolue dans un milieu très favorable au stress. Selon la sensibilité de chacun, la situation peut évoluer vers la maladie," rappelle Isabelle Roskam, spécialiste des questions parentales. Or aujourd'hui, être un bon parent demande une forme de dépassement de soi, une capacité à cocher toutes les cases de la parentalité positive (j'éduque, je guide, j'accompagne mon enfant, je respecte ses droits, je l'élève dans un environnement serein...), tout en menant des vies professionnelle et amoureuse épanouies. Autant dire une mission quasi-impossible.
Aucun parent n'est à l'abri du burn-out
Quels que soient le milieu social et le niveau d'éducation, le burn-out ne discrimine pas: aucun parent n'est à l'abri. Et pour cause : "Il n'y a pas de profil type de parent en burn-out. Chacun à son histoire," souligne Isabelle Roskam. "Le point commun de ces burn-out : ils sont toujours liés à un phénomène d'accumulation et de non-compensation." Ainsi, le parent est soumis, notamment au cours des premières années, à un certain nombre de "stresseurs" : la réalisation de tout ce qui peut arriver à son enfant, sa dépendance et son immaturité, toutes les appréhensions liées à son bon développement, la transition vers la parentalité qui implique nécessairement certains renoncements... S'il n'a pas les ressources (entourage, stabilité émotionnelle, etc.) et la capacité d'adaptation pour faire face à ces stresseurs ou si les joies du quotidien ne les compensent plus, le burn-out peut s'installer.
Pour autant (et heureusement), tous les parents ne tombent pas en burn-out. "Certains vont être plus sensibles que d'autres. La personnalité, les facteurs de risques personnels et les épisodes de vie font qu'on est, à un moment ou un autre, plus facilement atteint par le stress," tempère la chercheuse. Et de rappeler que les personnes particulièrement perfectionnistes, ayant une histoire personnelle complexe ou étant dans une situation particulière propre à subir une forme de pression (une femme qui a décidé d'avoir des enfants seule, qui se sentirait jugée par la société, par exemple) sont plus susceptibles d'être victimes du burn-out.
Le burn-out : une maladie tout en contrastes
Comment reconnaître un burn-out parental ? S'il prend des formes variables, il s'immisce toujours dans la vie familiale selon un schéma bien particulier. Se basant sur sa représentation idéalisé de la parentalité, l'adulte s'investit intensément dans son rôle (phase du burn-in). Un temps source satisfaction (le parent à l'impression d'être indispensable), cet engagement sans borne dégénère quand le parent finit par se sacrifier pour ses proches. Ses enfants sont toujours prioritaires, ses besoins secondaires. Vient alors la frustration. "Quand une situation est trop idéalisée, il y a forcément une forme de frustration qui apparaît car la reconnaissance reçue n'est jamais à la hauteur de l'investissement du parent," précise la chercheuse. "C'est une fois qu'on entre dans ce cercle du 'tout ça, pour ça', que l'on peut basculer dans le burn-out". Apparaissent alors les manifestations communes du burn-out : un épuisement physique et émotionnel, une distanciation affective vis-à-vis de l'enfant et une perte d'efficacité et d'épanouissement du parent, qui n'arrive tout simplement plus à occuper ses fonctions familiales.
Cela a été le cas pour Emilie...
"Après des années de PMA, je suis enfin tombée enceinte. Le jour où notre fils est né, j'avais le sentiment que je devais être à la hauteur de cet 'honneur'. J'ai donc essayé de suivre le 'manuel de la bonne mère' à la lettre : j'ai allaité même si je détestais ça, posé un congé parental, emmené notre fils aux bébés nageurs, au cours d'éveil musical, j'ai cuisiné ses repas bio et maison... Mon mari voulait m'épauler, mais je ne lui laissais aucune place : il ne faisait jamais les choses assez bien à mes yeux. Au fil des semaines, la situation a dégénéré : j'oubliais régulièrement mes repas, je me lavais un jour sur deux, je ne prenais plus soin de moi, j'ai recommencé à fumer... J'étais tellement fatiguée que j'ai fini par me mettre en pilote automatique avec le petit (soins-repas-sieste-bains-nuit) et à me retourner contre mon compagnon : il n'était jamais assez présent, soutenant, efficace, tendre... J'ai fait de lui le responsable de mon échec et de ma frustration."
L'épuisement, l'irritabilité et la colère, l'aggravation des dépendances et des addictions, les négligences (voire la maltraitance) de l'enfant, les difficultés de couple sont autant de signes qui trahissent le burn-out parental. Mais le plus important d'entre eux, celui qui doit alerter l'entourage reste le contraste avant-après. "Quand l'entourage se dit 'je ne le/la reconnais plus', il y a lieu de s'inquiéter," décrit Isabelle Roskam, tout en précisant que le burn-out n'est pas un phénomène linéaire. "On peut tendre vers le burn-out un jour, trouver des ressources pour se sentir mieux un autre... Ce n'est pas parce qu'on a mis les pieds dans la frustration qu'on va dégringoler dans le burn-out".
Contre le burn-out, préserver son couple et accepter de déléguer
En effet, tout est, avec le burn out, une question d'équilibre entre le stress vécu et ce qui va le rendre insupportable (les facteurs de risques) d'un côté et les ressources, les facteurs de protection du parent de l'autre. D'où l'importance de développer ses ressources personnelles. "Le premier travail de prévention que l'on peut faire est simplement de d'asseoir et de constater l'aide que l'on a autour de soi. Le risque en cas de burn-out est de croire qu'on doit se débrouiller seul. Bien au contraire, déléguer est essentiel : il faut accepter de solliciter de l'aide et apprendre comment la solliciter. Si l'heure du bain vous angoisse, mieux vaut expliquer à votre compagnon posément que ce moment vous pèse, que vous aimez qu'il soit là pour s'en occuper, plutôt que de l'invectiver," conseille Isabelle Roskam.
Face à l'épuisement, le couple est d'ailleurs une entité essentielle pour se "remettre sur les rails". Et pour cause : qui mieux que son conjoint est capable d'empathie, de comprendre la situation familiale et les sources de stress de la personne qui partage sa vie ? "Quand on est une équipe, il faut savoir reconnaître les forces et les saturations de chacun à moment x ou y, puis chercher à faire un partage équitable des tâches," continue-t-elle. "Et surtout, il faut renégocier au fil de l'eau qui fait quoi, en fonction de son état du moment. Si l'un des membres du couple est épuisé, il est important de le dire à l'autre et de voir comment, ensemble, on peut diminuer les stresseurs".
Et s'il n'y a pas (ou plus) de couple, il est important au parent isolé de trouver dans sa famille ou ses amis ceux qui peuvent composer les piliers aidants de sa parentalité. Il n'y a pas de honte à demander de l'aide.
Apprendre à gérer ses émotions, à hiérarchiser et à positiver
Identifier ceux qui peuvent nous aider, préserver son couple... L'entourage est certes essentiel pour soutenir le parent face au burn-out. Mais il doit toujours s'accompagner d'un travail sur soi et plus particulièrement sur ses émotions, car c'est en régulant ses émotions qu'on apprend à gérer le stress. "Il est essentiel d'identifier ce qui se passe quand on dérape. Quand je hurle, combien de temps dure l'émotion ? Quels sont les signes corporels annonciateurs (estomac noué, coup de chaud, etc.) ? C'est alors qu'on pourra éviter le débordement en faisant redescendre l'intensité émotionnelle, par des exercices de respiration, une sortie, une heure de jogging, etc. Il y a 1000 façons de gérer ses émotions," rassure la chercheuse. Gérer certes, mais aussi communiquer. "Par un simple "je me sens...", on attise l'attachement, l'autre (conjoint, enfant) devient co-régulateur de l'émotion. Il aide à la surmonter." Un partage d'autant plus important qu'il peut permettre de voir la situation sous un autre angle... et de la positiver !
Changer de point de vue peut être libérateur
Ce réflexe peut faire sourire tant il semble anodin face au gouffre dans lequel on plonge en cas de burn-out. Et pourtant... "L'un des facteurs importants dans la résilience (la capacité à se remettre d'un traumatisme subi, ndlr)est notre faculté à avoir des billets cognitifs positifs. Les personnes ayant un biais positif sont moins vite malades et font plus facilement face aux épreuves," conclut Isabelle Roskam.
Elise en atteste... Après avoir frôlé l'épuisement, elle s'est rendu compte que changer de point de vue ne pouvait que l'aider.
"J'ai toujours eu tendance à voir la bouteille à moitié vide et cela ne s'est pas arrangé quand j'ai eu mes enfants. Quand j'étais au plus bas et que 'j'observais' notre vie de famille tout me semblait noir : les colères de mon aîné, mon bébé qui ne dormait "jamais" et m'empêchait de récupérer. J'étais au bout du rouleau. Il a fallu un bon travail sur moi-même pour réaliser qu'en-dehors de ces quelques épisodes de 'crise', mon grand était un enfant très vif, épanoui et confiant et que mon second, certes faisait très peu de siestes, mais dormait 12 heures par nuit. Me forcer à voir ce qui allait bien m'a progressivement redonné confiance..."
Quoi qu'il en soit, le burn-out parental est un risque réel. Il est important que chaque parent se donne des limites, qu'il demande de l'aide s'il se sent dépassé et surtout qu'il accepte de baisser son niveau d'exigence. Souvent c'est le parent lui-même qui se met la pression, pensant qu'il doit être plus que parfait pour son enfant. Et souvent, il lui suffit de renoncer à certaines actions, pour rendre supportable ce qui ne l'était plus. Par exemple : arrêter de se culpabiliser si les repas de bébé ne sont pas tous faits maison, si les draps des parents ne sont pas repassés, si la maiason n'est pas impeccable... Apprendre à définir des priorités sera probablement le meilleur des remèdes. Si malheureusement, l'épuisement total est atteint, seules une consultation médicale et une prise en charge spécifique permettront de passer le cap.