Que répondez-vous à la polémique au sujet des « violences obstétricales » ? Ainsi que celle concernant un taux trop important d’épisiotomies dans certaines maternités ?
Nicolas Dutriaux : L’enquête périnatale qui vient de publier ses premiers résultats retrouve une baisse de 7 points pour l’épisiotomie (20% et non 75%) ce qui est encore trop de mon point de vue, et une baisse des interventions systématiques en salle de naissance comme l’injection d’oxytocine au cours du travail spontané – et cela avant même la publication des recommandations du CNSF sur cette question !Toutefois, même si la majorité des femmes sont satisfaites des soins qui leur ont été apportés (88%), la question a été posée tôt après la naissance et alors qu’elles étaient encore hospitalisées. Certains questionnements ou remises en cause des soins peuvent se poser a posteriori – notamment au moment de la grossesse suivante. 77% des femmes n’avaient pas d’attente particulière quant à leur prise en charge à l’arrivée en salle de naissance : sont-elles résignées à une prise en charge qu’elles savent souvent standardisée ?
Surtout que le nombre d’accouchements dans les grandes structures augmente encore sans adéquation en terme de personnels (malgré nos demandes répétées de revoir urgemment des décrets de périnatalités vieux de 20 ans ). Nous (le CNSF) espérons que les recommandations de la Haute Autorité de Santé sur l’accouchement normal et physiologique à paraître d’ici quelques semaines seront aussi l’occasion de redéfinir les soins en salle de naissances. Mais, soyons clairs, cela ne peut se faire sans personnels supplémentaires. Des interrogations ou des mauvais vécus peuvent parfois s’énoncer plus tardivement. C’est pourquoi, nous regrettons l’insuffisance de recours à l’entretien prénatal précoce (28% seulement), et que je milite pour le développement d’un entretien post-natal précoce (8 à 15 jours après l’accouchement) pour recueillir mieux la parole des femmes et des couples, afin de pouvoir désamorcer au plus vite les incompréhensions, les difficultés et mettre en place un soutien si nécessaire.
Enfin, le CNSF se félicite le diplôme univsersitaire sur les violences en gynécologie obstétrique vers la bientraitance qui s’est ouvert dans 3 universités (Paris Descartes, Grenoble, Montpellier).
Pensez-vous que le cadre actuel de la conservation du cordon ombilical doive être réformé ?
Nicolas Dutriaux : C’est la conservation du sang de cordon que vous évoquez ? Il s’agirait de systématiser le don ou en tout cas de rendre possible ce don dans plus d’établissements qu’actuellement. Il n’y a aucun intérêt démontré à ce jour à une conservation pour soi-même. Nous (le CNSF) ne souhaitons donc pas voir cette possibilité ouverte mais que le don reste à destination des malades qui en ont besoin aujourd’hui.
Avez-vous déjà entendu des remarques ou des critiques de parents à ce sujet ? Si oui, lesquelles ?
Nicolas Dutriaux : Beaucoup de parents posent la question et souhaiteraient pouvoir le faire, mais les maternités sont insuffisamment équipées pour le recueil et la conservation des dons.
Le gouvernement a évoqué une loi sur l’élargissement prochain des conditions d’accès à la Procréation Médicalement Assistée (PMA). Cette décision vous réjouit-elle ?
Nicolas Dutriaux : Personnellement, oui ! Nous suivons régulièrement des patientes de retour d’Espagne ou de Belgique. Il faut en finir avec l’hypocrisie. D’un point de vue du CNSF que je représente, le débat dans nos rangs est d’actualité afin de définir une position officielle – a priori ouverte.
Le CNSF s’était en revanche positionné contre la gestation pour autrui il y a quelques années en développant comme arguments notamment que les intéractions entre un fœtus et la femme qui le porte étaient nombreuses et à même d’influencer cet enfant. Les questions d’affectivité n’étant pas clairement définies, il convient de rester prudent quant à cette évolution. Comme également l’instrumentalisation et la marchandisation du corps des femmes que nous ne souhaitons pas voir se développer comme cela peut se faire dans certains pays.
C’est pourquoi nous encourageons en revanche le don d’ovocytes en soutenant l’Agence de la Biomédecine dans son appel à des donneuses par exemple. Je trouve, comme l’a mentionné le Pr Nisand dans son intervention, tout aussi inadmissible de soumettre le droit à la conservation de ses ovocytes à un don préalable. Cela doit rester un choix personnel.
Vous vous êtes déclaré favorable à la révision des décrets de périnatalité. Pourquoi ?
Nicolas Dutriaux : La question qui me paraît primordiale reste la question de la révision des décrets de périnatalité afin de sortir de ce que nous avons appelé « l’entonnoir des maternités ». Toutes les grossesses quel que soit leur niveau de risque arrivent dans un seul service d’urgence et un seul espace naissance avec une seule équipe. Dans les pays limitrophes, lorsqu’un établissement réalise 3500 à 5000 naissances, il dispose de 3 à 4 zones de naissances avec des personnels dédiés pour chacune ! (1 maison de naissance / 1 unité physiologique / 1 salle de travail avec un espace pour les grossesses à bas risque – donc 3 zones pour le bas risque qui représente environ 80% des naissances - et une autre pour les 20% de grossesses à risque). Il n’y a donc pas d’insuffisance de locaux et/ou de personnels.
Les normes doivent être revues. Il n’est plus acceptable que 3 à 5 sages-femmes seulement soient de garde avec un seul médecin gynécologue, un seul médecin anesthésiste et un seul pédiatre pour 4 à 5000 naissances, quand il en faudrait au moins le double de chaque. Ces équipes médicales devant être soutenues par une équipe paramédicale à la hauteur également sans qui un service hospitalier ne tournerait pas.
Aujourd’hui, un couple sur cinq a recours à la PMA. Certains avancent même le chiffre d’un couple sur trois. Est-ce que vous confirmez ces chiffres ? Assistons-nous à une augmentation de l’infertilité des couples ?
Nicolas Dutriaux : Ce qui est certain c’est que l’âge de la première grossesse recule dans notre pays et que la grossesse peut parfois se faire attendre. Faut-il pour autant parler d’emblée d’infertilité ? Je ne le pense pas. La plupart des couples attendent, à juste titre probablement, mais c'est aussi un modèle social « imposé », d’être dans une situation personnelle et professionnelle posée. Le choix de vouloir un enfant s’installe donc dans un rythme métro – boulot – dodo moins propice à des rapports sexuels fréquents. Il n’y a qu’une chance (ou un risque) sur quatre de concevoir à chaque cycle avec des rapports réguliers…. Donc si ceux-ci sont espacés, les chances se réduisent d’autant. Ajoutez à cela une culture parfois consumériste : Je veux un bébé… donc la grossesse doit survenir de suite. Si au bout de quelques mois, la grossesse n’est pas annoncée, les couples calculent les jours de fécondation potentielle retirant toute spontanéité à la sexualité… et consomment des consultations médicales. C’est le meilleur moyen d’éviter une grossesse !
Il convient alors de rappeler qu’avec des rapports sexuels réguliers 84% des femmes seront enceintes dans l’année en l’absence de contraception, et près de 95% dans les 18 mois. Il n’y aurait donc pas lieu de rentrer dans le rythme des bilans et des protocoles de PMA avant au moins 2 ans sans conception pour les femmes de moins de 36 – 38 ans. A partir de cet âge, il peut être utile de consulter plus précocément; puisque la législation française limite l’accès à la PMA aux femmes de moins de 42 ans. En cas de trouble réel, mieux vaut donc ne pas perdre de temps.
Dans cette configuration de l’augmentation de l’âge moyen des primipares, êtes-vous favorable à la libéralisation de la congélation des ovocytes pour les femmes ?
Nicolas Dutriaux : C’est là aussi une question en cours de réflexion dans notre instance. La loi récente contraignant les femmes qui le souhaiteraient à un don obligatoire est une inégalité criante et nous a interpellés. Dans une logique d’égalité et de responsabilité, je souhaiterai en revanche que la conservation soit proposée lors des démarches de stérilisation à visée contraceptive (comme cela est obligatoire pour les hommes…). Cela permettrait peut-être de lever les difficultés d’accès à celle-ci, nombre de femmes étant contrainte d’attendre « un âge minimum » qui reste à l’appréciation du médecin, alors que la loi l’autorise dès 18 ans avec comme seule contrainte le délai de réflexion de 4 mois.
Trouvez-vous les pères plus présents et investis pendant la grossesse ? Constatez-vous des changements, des évolutions ?
Nicolas Dutriaux : Les hommes sont souvent plus investis de manière générale, tant dans le choix et la gestion de la contraception, qu'au cours de la grossesse et de la parentalité. Cependant, la répartition des tâches domestiques reste très normée. Il est dommage que le congé paternité ne soit que de 11 jours et non pris en charge à 100% : certains couples y renoncent donc par soucis financiers. Il faudrait pouvoir allonger ce congé et permettre sa prise en charge à hauteur du salaire.
Le congé parental raccourci s’il n’y a pas de transfert à l’autre parent est-elle une solution acceptable ?
Nicolas Dutriaux : Oui si les indemnités compensent la perte de revenus. Comme ce n’est pas le cas, les femmes retournent parfois plus vite au travail sans que leur conjoint ne prenne le relai pour autant.
Vous êtes sage-femme depuis de nombreuses années. Comment percevez-vous, de manière générale, tous ces changements, notamment au sein de votre profession ?
Nicolas Dutriaux : J’ai suivi les changements législatifs de notre profession depuis 10 ans que j’exerce. Lorsque nous demandons une évolution ou une modification, il faut tout autant se justifier qu’il y a 10 ans. Les tutelles méconnaissent autant et parfois plus encore que le grand public nos prérogatives, méconnaissances qui sont sources d’incohérences législatives. Pourtant lorsqu’une avancée est faite, il s’agit souvent que d’une extension d’une compétence déjà acquise et maîtrisée. C’est pourquoi nous ne comprenons pas les attaques répétées de certains praticiens (ou du moins de leurs représentants syndicaux car sur le terrain l’ambiance est bien plus coopérative !). Par exemple, en 2009, lorsque nous avons été autorisés à assurer le suivi gynécologique de prévention, ce n’était qu’une extension des dépistages systématiques des femmes (notamment en ce qui concerne le cancer du col et du sein) que nous réalisions déjà chez toute femme enceinte en début de grossesse. Nous prescrivions déjà la contraception en post-partum et en post-abortum avec les précautions d’emploi et les contre-indications supplémentaires existantes à ces périodes particulières. Qui peut le plus, peut le moins ! Donc évidemment que cela a été possible de s’emparer de ces questions en dehors de ces périodes. D’autant plus que les sages-femmes ont à cœur de se former et toutes celles qui en ressentaient le besoin ont sollicité des formations continues avant de se lancer.